C'est l'histoire de la viiiiiiiiiiie ♪ [Fini]

Pour tout vous dire la première fois que je l’ai croisé, je n’ai pas aimé le petit air hautain qu’il affichait en permanence. Par la suite j’ai encore moins aimé sa trop grande confiance en lui ni ce petit sourire en coin qu’il avait toujours. Et puis dès qu’il y avait un problème, vous pouviez être sûr qu’il n’était pas loin. C’était lui la source de problème majeure de mon établissement scolaire. C’était censé être un collège calme. Vous savez dans les grandes écoles pour riches, c’est rare de voir de vrais élèves à problèmes. Vu l’argent que déboursent les parents, les enfants ont intérêt à se tenir droit.  Enfin, moi j’étais un boursier comme Gabriel. On aurait dû s’entendre, après tout, on n’était pas forcement bien vu nous. Pourtant, on était bien plus méritant que ces gosses de riches. Nous, on était obligés d’avoir de bons résultats si on voulait pouvoir rester dans un établissement pareil. Nous on avait pas papa et maman pour graisser la patte du directeur. Nous on était obligés de compter sur nous-mêmes si on ne voulait pas se faire virer. Mais bon, c’était dans le but d’aller dans une bonne université ensuite donc ça valait le coup, je suppose.

Souvent les boursiers comme nous formaient une sorte de petit groupe pour se soutenir. On se faisait tout petit et on les laissait juste parler. On ne voulait pas causer de problèmes alors on se taisait et on faisait comme si on était dans une bulle hors de leur monde. Mais Gabriel… Gabriel, il faisait comme ces gosses de riches à les mépriser du regard. Alors forcement ça ne leur plaisait pas, ils n’avaient pas vraiment l’habitude que des prolétaires leur tiennent tête. Surtout qu’il ne vient vraiment pas d’une famille riche et il se permettait d’ignorer les autres en disant qu’ils n’étaient pas du tout intéressant, qu’ils étaient une perte de temps. Et c’était mal vu tout ça, ils considéraient tous ça comme un affront. Comment un fils de femme de ménage et de chômeur avait-il l’audace de telles réflexions face à des enfants de multimilliardaires ? C’était ce que tout le monde se demandait, moi le premier.

Le voir, un sourire si arrogant sur le visage, marcher la tête droite à travers les couloirs sous les regards haineux de la plupart des élèves était un vrai spectacle. Ça a causé pas mal de disputes en plein milieu du réfectoire ou de la cour. Mais ils avaient beau lui dire qu’il ne valait rien, qu’ils allaient faire en sorte que sa mère se fasse virer de son job aussi, il gardait la tête haute. Pourtant nous, face à une telle menace, on tremblait comme des feuilles. On n’était pas sûr de ce que ces mômes étaient capables et de l’influence qu’ils pouvaient avoir sur leurs parents. A force de se retrouver dans tant d’histoires du genre, on s’était tous imaginés qu’il allait se faire virer. Mais ça n’est jamais arrivé. Apparemment pour plusieurs raisons, la première étant qu’il n’avait jamais causé de bagarres. La seconde étant qu’il avait d’excellentes notes. Il ne les montrait jamais mais il se trouvait toujours être le premier de la classe. Pourtant je le voyais pas travailler énormément non plus, il se contentait de lire ce qu’il avait entre les mains et d’assister aux cours, c’était tout.

Et la troisième raison… Et bien la troisième raison on l’a appris bien plus tard et on est tous resté sur le cul. En fait, le petit con nous a jamais dit mais il avait un parrain riche et très influent. Et apparemment ce dernier adorait son filleul. D’ailleurs il faisait régulièrement des donations à l’établissement scolaire. Mais Gabriel, il préférait que personne ne le sache alors il avait rien dit, continuait de porter des habits bas de gammes plutôt que de prendre les nouveaux vêtements de la dernière saison des grands couturiers. Même au niveau technologique, il conservait un vieux téléphone plutôt que le dernier sorti. Pourtant, il aurait très bien pu, son parrain était carrément gaga devant lui. Mais bon… il était comme il était et visiblement avoir un peu de défi dans sa vie lui plaisait bien… Moi je dirais plutôt qu’il est totalement maso et qu’il adore se faire martyriser mais bon, ce n’est que mon humble avis. Enfin, c’était mon avis.

C’est toujours comme ça avec Gabriel, il donne l’impression qu’il agit comme un crétin puis il vous explique ses agissements et tout de suite ça semble bien plus logique. Et bah là c’était pareil. Ce qui l’intéresse lui, c’est de voir la vraie apparence des gens, ce qu’ils sont réellement. Ironique venant de la part d’un metamorphe, non ? Mais bon, il est comme ça. C’est de là que vient son obsession pour le changement de formes aussi. Il me l’a dit lui-même un jour : « Les gens ne te traitent pas de la même façon selon ton apparence… Pour connaitre quelqu’un, il faut être plusieurs personnes à la fois! ». Il m’a dit qu’en tant que prolétaire, les gens le traiteraient comme les autres, qu’ils ne seraient pas hypocrites et ne viendrait pas lui cirer les pompes. C’est vrai que le jour de la remise des diplômes, quand son parrain l’a fait appeler sur scène pour lui remettre en main propre le petit bout de papier et le serrer dans ses bras… Tout le monde a changé de comportement.

Lui, il a juste poussé un soupir exaspéré quand on l’a appelé sous le regard incrédule de tous les étudiants. Puis il est monté sur l’estrade comme si sa place avait toujours été là et il nous a lancé un regard moqueur à tous, l’air de vouloir dire « Je vous aie bien eu, hein ? ». Certains étaient blêmes regrettant déjà tous les coups tordus qu’ils avaient joués à Gabriel. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que souvent, sous une autre forme, il leur rendait leur coup. «On dit que le destin finit toujours par faire payer aux autres. Mais je crois qu’il est un peu trop occupé, alors moi, je l’aide. » me disait-il toujours pour se justifier de ses actes. Mais bon, tous n’étaient pas dans ce cas-là, en six ans, il était quand même parvenu à se faire des amis.

En fait, il y avait trois catégories de gens : ceux qui avaient fini par l’adopter et qui l’avaient pris sous leurs ailes, appréciant sa franchise et son caractère farceur. Ceux qui l’ignoraient totalement ne voulant pas le côtoyer mais ne faisant rien à son égard, pour eux il était juste un élément du décor en gros. Et puis il y avait ceux qui ne supportait toujours pas son air supérieur ni ses manières et qui continuaient donc de s’en prendre encore à lui. Étrangement, il n’a pas cherché à les martyriser en retour lorsqu’ils ont découverts qu’il avait un homme influent de son côté. Bon, il n’est pas allé non plus les rassurer, il n’est pas un bon samaritain! En fait, il jubilait de les voir aussi démuni et il ne se lassait pas de ce spectacle. Même s’il fut de courtes durées pour lui, un jour ce n’était pas suffisant pour le satisfaire.

Passé de rebut de l’établissement scolaire à membre à part entière d’une bande d’amis ne se fit pas en un jour. Loin de là.  Moi… Je ne sais plus trop quand je suis devenu ami avec lui. Sans doute au moment où il a arrêté de me mépriser du regard. Ça aussi ça a pris du temps, il ne parvenait vraiment pas à comprendre comment je pouvais me taire face aux autres élèves. Je crois qu’il s’est fait à l’idée et qu’il a plus au moins réussi à s’imaginer ce que je ressentais. A ce moment-là, il a commencé à me parler gentiment, à me taquiner et à me montrer les tours qu’il jouait aux autres. Parmi les autres boursiers, il avait réussi à tolérer quelqu’un et même à en apprécier. Mais je pense pouvoir dire que j’étais son meilleur ami. Je ne pense plus l’être à présent, il s’est passé trop de choses et… il est tellement lui-même que je ne sais pas à quoi il pense.

Bref, vous vous doutez bien, que même si Gabriel était parvenu à se faire ami avec moi, ce n’était pas ça l’élément déclencheur qui avait fait monter sa popularité. Le fait qu’il fasse tourner en bourrique certains étudiants et certains professeurs avaient eu tendance à amuser les autres. N’empêche que tout ça faisait parler de lui, ce qui faisait que même à travers les diverses promotions on connaissant son nom et sa réputation. A ce stade-là, ça faisait presque deux ans qu’il avait intégré le collège et la plupart des gens le laissait tranquille, rigolant même à ses farces. Bon, ils n’étaient pas non plus au point de lui parler spontanément et de vouloir son amitié mais c’était déjà ça.

Puis il y a eu Steve. Steve, un mec populaire, et toute sa bande de suiveurs. Je n’ai jamais su pourquoi mais un jour il a débarqué à l’école, hilare, accompagné de Gabriel. Ils marchaient côte à côte, copains comme cochons. Les jours qui ont suivi, il le traînait partout avec lui, le présentant à tout le monde comme son nouvel ami. Beaucoup de personnes ont été étonnées par cette récente amitié alors qu’aucun événement ne semblait le présager. Ça a fait beaucoup jaser… Dans un établissement scolaire, souvent, un bon ragot bien croustillant est beaucoup plus dévastateur que des coups de poings. Moi-même j’ai été surpris et je me posais des questions. Les bruits de couloirs étaient sans équivoques, certains pensaient que Gabriel avait donné de sa personne pour mériter tant d’attentions subitement.

Un jour, au réfectoire alors qu’on choisissait notre entrée, j’ai osé lui demander. Maladroitement certes et en rougissant comme une pucelle mais j’ai été le seul à oser lui demander. Il a haussé un sourcil et m’a observé longuement tandis qu’un air impassible était gravé sur son visage. « Et si je te dis que je couche avec lui, cela changerait-il quelque chose entre nous ? » avait-il d’un ton neutre. J’ai vivement secoué ma tête à l’horizontal, pour lui faire comprendre que non. « Alors, pourquoi me demandes-tu ? ». Je n’ai pas su quoi répondre à ça, je n’ai pas pu détourner mon regard de son sourire énigmatique. Je n’ai jamais su la vérité. Dès que je pensais ma théorie bonne, il venait semer la zizanie en distillant un peu de doutes dans mes pensées.

Quoi qu’il en soit, il devint donc ami avec Steve et sa bande. Au début j’ai cru qu’il allait m’abandonner mais en fait non, il tentait du mieux de m’intégrer. De façon subtil, comme toujours avec lui. Il n’était pas du genre à dire haut et fort qu’on était amis et que donc ils devaient me parler aussi. Non, il faisait en sorte de s’asseoir toujours à côté de moi et pas en bout de table, pour que je sois entouré aussi. Et puis, il calait son rythme de marche au mien pour ne pas me semer, que je sois toujours à la hauteur de ce petit groupe. Des détails, comme toujours. A croire qu’il est dans l’incapacité chronique de montrer aux gens qu’il est quelqu’un d’attentionné. Mais bon, c’est ce qui fait son charme aussi, je suppose.

Quand il a eu son diplôme, il est parti de l’Alaska pour se rabattre vers les grandes villes des Etats-Unis. Il voulait aller dans une grande faculté et là où on vivait ce n’était pas vraiment ça. Moi aussi, je suis partie cette région si froide pour continuer mes études… dans la même fac que lui en plus ! Forcement, comme il a eu son diplôme avec mention, il n’a pas eu de mal à avoir une bourse et donc une place offerte. On pensait tous qu’il allait faire chercheur ou bien médecin. Il a fait un double cursus et a obtenu le droit d’exercer en tant que prof’ à l’université dans la section de recherche scientifiques.

Une fois son diplôme en poche, il n’a pas tardé à recevoir une offre de la part de la faculté où il étudiait. Après tout, il avait été major de sa promo durant toutes ses études, ça semblait donc être la suite logique des choses. Mais il a refusé. Il a préféré être professeur dans un lycée… Sérieusement, c’est du gâchis ! Certes, malgré son air hautain, il sait se montrer pédagogue quand il le veut mais… mais je suis sûr qu’il leur prend la tête à ses élèves. Il voudra sans doute leur expliquer des choses compliqués, faire partager son savoir. Ça part d’un bon sentiment, c’est sûr mais je ne pense pas que c’est ce qui lui convient le mieux.

Son enfance ? Vous êtes bien curieux, dites donc ! Mais vous avez raison, je n’ai pas commencé par le début ! En même temps, j’étais juste censé vous raconter ma rencontre avec lui, pas sa vie. Mais bon, puisqu’on y est autant finir. Hmm… Qu’est-ce que je peux bien vous raconter ? Au final, moi-même je ne sais pas grand-chose… Ah si ! Il est né le 31 octobre, le jour d’Halloween. J’ai toujours trouvé ça super drôle. Ça lui va tellement bien lui qui adore jouer des tours. Lui, il ne trouve pas ça drôle par contre. Alors ce jour-là il se déchaîne encore plus que les autres jours de l’année en déclarant : « C’est mon anniversaire, je fais ce que je veux !». Comme s’il ne fait pas déjà ce qu’il veut quand ce n’est pas son anniversaire… Enfin bon, à part ça, je ne sais pas grand-chose du jour de sa naissance. En même temps ce n’est pas vraiment les questions qui viennent à l’esprit de toutes personnes normalement constitués quand on parle à son meilleur ami.

Sinon… Sinon… Il a un petit frère plus jeune que lui de sept ans et une petite sœur plus jeune de dix ans. D’ailleurs, un des meilleurs moyens –et sans doute le plus rapide- pour l’énerver c’est de s’en prendre à eux deux.  Il les a toujours materné, à tel point que je me moquais de lui en le traitant de mère poule. Je recevais un regard dédaigneux suivi d’un vague geste de la main signifiant « vas t’en, vil manant ». C’était mignon de le voir si protecteur avec eux, on avait limite l’impression qu’il prenait le rôle de ses parents. En même temps, les pauvres n’avaient pas le temps de s’en occuper. Sa mère, Isabella, est femme de ménage, elle avait plusieurs petits emplois pour tenter de subvenir à leurs besoins.

Son père… ‘fin c’est pas vraiment son père. Mais en même temps si. Je crois qu’il le considère comme un père en tous cas. Je sais que l’histoire entre sa mère et son vrai père est assez floue. Il sait très bien lui mais… Ce n’est pas à moi de parler de ça. Même s’il affiche toujours un air détaché quand il en parle, je n’ai pas le droit d’en parler dans son dos. Bref, Emmanuel, lui par contre il était livreur. Mais il a eu quelques difficultés pendant un moment, il trouvait plus de boulot. Il avait beau chercher, encore et encore, il n’y avait rien pour lui. A croire qu’on avait plus besoin de livrer quoi que ce soit. Alors, forcement, c’était Gabriel qui devait s’occuper des petits, ils n’avaient absolument pas les moyens pour se permettre de faire appel à une nounou. En fait, ils faisaient appel à la mère d’Emmanuel, elle ne vivait pas loin et elle était l’adulte responsable qui surveillait les trois gamins. Plus les années ont passé et plus tout a été délégué à Gaby.  C’est pour ça qu’il a eu du mal à partir faire ses études ailleurs. Je crois que ça lui brisait le cœur de les abandonner, même s’il avait confiance en eux.

Le reste… soit ce ne sont que des détails, soit je n’ai pas à vous en parler. Je crois même en avoir trop dit, si le petit monstre apprenait que je vous ai parlé de lui pendant des heures, il serait capable de me le faire regretter. Amèrement. Alors ayez pitié de moi et ne lui dites rien à propos de tout ça. Je vous offrirais un verre pour vous remercier en échange!